Berit VIKTORSSON, 63 ans
Depuis quinze ans, Berit Viktorsson avait progressivement appris à contrôler sa peur de l’avion. Habitant l’île suédoise de Blidö, dans l’archipel de Stockholm, 800 âmes en hiver et 20 000 en été, cette puéricultrice multipliait les trajets vers Bruxelles. Une demi-dizaine d’allers-retours par an depuis qu’elle avait pris sa retraite voici deux ans. “Ma maman n’a jamais beaucoup voyagé, à part pour venir me voir”, explique sa fille Katrina installée en Belgique depuis 2001. Malgré la barrière de la langue, Berit avait pris ses habitudes dans la capitale de l’Europe. Elle y circulait, faisait ses courses, allait chercher ses petits-enfants à l’école et les emmenait au parc.
Le 22 mars, elle achevait un court séjour à Bruxelles à l’occasion d’un anniversaire d’une cousine. A 9h30, elle devait reprendre un vol pour la Suède. “J’ai tout de suite su qu’elle était au mauvais endroit, même si je m’accrochais à un espoir ténu”, explique Katrina. “L’attente et l’incertitude étaient horribles” avant le funeste verdict tombé quatre jours plus tard. Au moment de l’explosion, Berit Viktorsson se trouvait à trois mètres d’un des terroristes, elle n’avait aucune chance.
A 61 ans, Berit Viktorsson avait mis fin à sa carrière afin de profiter de ses deux enfants et de ses quatre petits-enfants. Mormor – grand-mère en suédois – jouait son rôle avec amour aussi bien en Suède qu’à Bruxelles, l’éloignement n’ayant jamais eu raison de la complicité entre les générations.
L’an passé, sa fille lui avait offert un cadeau qui n’a pas de prix au vu des récents événements. “Depuis toujours, elle rêvait de voir Paris. Pour Noël, je lui ai payé un voyage pour Bruxelles d’où elle ignorait que je l’emmènerais à Paris à l’occasion de son anniversaire, le 29 mars.” A deux, elles ont sillonné tous les recoins de la Ville éternelle. Des instants de bonheur immortalisés en photo sur un bateau-mouche.
L’eau a bercé toute sa vie.
Née sur la petite île de Sandhamn, fille et sœur de marins et d’une maman couturière, Berit avait espéré marcher dans les pas de ses ancêtres. Mais, jadis, une femme n’avait pas sa place sur un bateau. L’eau a pourtant bercé toute sa vie. En 1981, c’est un marin qu’elle a épousé et pendant 30 ans, c’est en ferry qu’elle se rendait tous les jours dans l’école où elle travaillait.
La main sur le cœur, sa porte était toujours ouverte et une tasse de café attendait les voisins et les amis de passage. Avec sa fille, elle partageait un rire facile et un caractère coloré. “Elle adorait danser”, raconte cette dernière. “Danser pieds nus, peu importe où et peu importent les regards amusés, étonnés ou choqués portés sur elle.” Cruciverbiste, elle dévorait aussi les livres qui lui procuraient des sensations d’évasion. Son temps libre, elle le consacrait à la promenade avec sa tante.
Cet été comme chaque année, Katrina et ses deux garçons se rendront à Blidö. Mais les choses n’y seront plus jamais pareilles sans le sourire et la simplicité de Berit.
Thibault Vinel